Le droit croissant de la victime dans la procédure pénale limite-t-il les droits de l'accusé ?
—
by Josanne
Introduction
L’accusé est peut-être l’acteur le plus connu de la procédure pénale ; après tout, sans l’accusé, il n’y a pas de procès du tout. Le fait qu’un accusé ait des droits, et ce qu’ils sont, est moins clair. On sait également moins qu’un procès pénal n’est pas une affaire opposant l’accusé de la victime, mais l’État à l’accusé. En principe, la victime n’a aucun rôle dans la procédure pénale, mais ces dernières années, elle a néanmoins commencé à jouer un rôle plus important. On lui a donné des droits, ces droits sont élargis, ce qui est une belle évolution pour les sentiments bas de la société. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que, pendant la procédure pénale, l’accusé n’est toujours rien de plus que cela : un suspect. Ce n’est qu’après sa condamnation par le juge qu’il est un auteur. La victime, en revanche, voit les choses différemment : pour elle, il est généralement certain que l’accusé est l’auteur du crime et qu’il doit être puni – motivé par un sentiment de vengeance et de satisfaction. La question est de savoir si ce rôle croissant de la victime dans la procédure pénale a un effet limitatif sur les droits de l’accusé.
L’évolution des droits de l’accusé
Le Code d’instruction criminelle
Avant la Révolution française, le droit de la procédure pénal en France était codifié dans l’Ordonnance criminelle de 1670. Après la Révolution, une nouvelle procédure pénale a été conçue, fortement inspirée du droit anglais accusatoire. Cette codification – le Code d’instruction criminelle – était un mélange de l’Ordonnance de 1670 et des conceptions modernes de la Révolution. L’accusée n’avait aucun droit, puisqu’il était l’objet de l’enquête. L’enquête préliminaire était donc également secrète et écrite.[1]
De l’accusatoire à l’inquisitoire
Le procédé pénal a évolué au fil du temps, l’accusé obtenant davantage de droits. Le caractère n’est plus accusatoire, où l’accusé est le sujet de l’enquête, mais inquisitorial. Il s’agit de rechercher la vérité (juridique) : une infraction pénale a-t-elle été commise, et si oui, laquelle ? Ce n’est qu’ensuite que se pose la question de savoir s’il est plausible que le suspect ait effectivement commis cette infraction. Jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par un juge, il est innocent ; la présomption d’innocence, in dubio pro reo. Dans le même temps, la victime a disparu du processus pénal en tant que partie. La présomption d’innocence fait partie des droits de l’accusé qui, ensemble, représentent le droit à un procès équitable et indépendant. Ce droit est codifié dans l’article 6 CEDH.
L’article 6 CEDH
Fin 1950, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CEDH) a vu le jour, établissant un certain nombre de droits pour les accusés dans les procédures pénales. L’article 6 de cette convention donne à toute personne contre laquelle des poursuites pénales ont été engagées le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un juge indépendant et impartial. Le droit le plus important qui est capturé dans cet article, est que toute personne accusée d’infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie (alinéa 2). Tout procès criminel doit être mis à l'épreuve de l'art. 6 CEDH. En fait, de droit à la représentation juridique de l’article 6, alinéa 3, sub c a été étendu par l’arrêt « Salduz »[2] de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en 2008. Depuis cet arrêt le suspect devait bénéficier du droit à un avocat dès son premier interrogatoire.
La place de la victime dans la procédure pénale
Pendant longtemps, la victime n’a pas joué de rôle dans le procès pénal, mais cela a changé. Dans le système accusatoire, la victime était toute puissante. Le système s’est changé à un système inquisitoire, dans lequel la victime était complètement oubliée.[3] Entre temps, cependant, le vent semble tourner à nouveau en faveur de la victime. Non seulement la victime peut entrer dans le procès en tant que partie lésée afin d’obtenir une indemnisation pour le préjudice subi (d’ailleurs, uniquement si ce préjudice est clair et simple ; sinon, une procédure distincte, civile, est nécessaire), mais le rôle que joue la victime dans le processus pénal s’apparente aujourd’hui davantage à celui d’un tiers.[4]
Les droits de la victime se sont peu à peu étendus au cours des dernières décennies, au point que la victime est autorisée à parler du crime commis et de ce qu’il lui fait subir. Le problème, cependant, est qu’à ce moment-là, l’accusé n’a pas encore été condamné et que la nature accusatoire du système de justice pénale d’antan refait surface. Le droit à un procès équitable est ainsi violé ; la présomption d’innocence n’est donc finalement plus (pleinement) respectée.
Si la victime et l’accusé sont ouverts, la médiation est une option. Dans la médiation, il y a un équilibre entre les participants, ce qui permet à la victime de jouer un rôle plus important.[5] De plus, l’issue de la médiation est souvent satisfaisante pour la victime, car l’accusé l’a vraiment écoutée et elle a donc le sentiment d’avoir eu son mot à dire. Évidemment, si l’un des deux n’est pas ouvert à la médiation, cette option est inutile.
Conclusion
Le droit à un procès équitable et indépendant est le droit le plus important dont un accusé et ce qui rend un procès pénal humain. L’accusé n’est plus le sujet de l’enquête, l’objectif central est d’établir la vérité (juridique). Le but du procès n’est donc plus la vengeance ou la réparation de la victime, ce qui signifie que la victime a presque complètement disparu du processus pénal.
L’expansion des droits de la victime ces dernières années, peut signifier que la présomption d’innocence est violée lorsque la victime est autorisée à parler du crime commis et de ce qu’il lui a fait. Pendant le procès, il n’est pas encore tout établi que l’accusé a commis l’infraction, ce n’est qu’après la condamnation par un juge qui constate de manière légale et convaincante que l’accusé est bien l’auteur de l’infraction, que la présomption d’innocence ne s’applique plus. La violation de la présomption d’innocence viole également le droit à un procès équitable et indépendant. Le droit croissant de la victime dans la procédure pénale limite donc les droits de l’accusé.
Bibliographie
BOSCH, A.G., « De ontwikkeling van het strafrecht in Nederland van 1795 tot heden », Nijmegen, Ars Aequi Libri, 2008.
CARIO, Robert, « Les droits des victimes dans la procédure pénale française. Entre équité et effectivité », Les Cahiers de PV, février 2010, p. 69-82.
CORIOLAND, Sophie, « La place de la victime dans le procès pénal », http://cdpf.unistra.fr/travaux/procedures/contentieux-penal/la-place-de-la-victime-dans-le-proces-penal/la-place-de-la-victime-dans-le-proces-penal/, consultation 25-09-2022.
Notes
[1] BOSCH, A.G., « De ontwikkeling van het strafrecht in Nederland van 1795 tot heden », Nijmegen, Ars Aequi Libri, 2008, p. 134.
[2] ECLI:CE:ECHR:2008:1127JUD003639102.
[3] CARIO, Robert, « Les droits des victimes dans la procédure pénale française. Entre équité et effectivité », Les Cahiers de PV, février 2010, p. 69-82.
[4] CORIOLAND, Sophie, « La place de la victime dans le procès pénal », http://cdpf.unistra.fr/travaux/procedures/contentieux-penal/la-place-de-la-victime-dans-le-proces-penal/la-place-de-la-victime-dans-le-proces-penal/, consultation 25-09-2022.
[5] CORIOLAND, Sophie, « La place de la victime dans le procès pénal », http://cdpf.unistra.fr/travaux/procedures/contentieux-penal/la-place-de-la-victime-dans-le-proces-penal/la-place-de-la-victime-dans-le-proces-penal/, consultation 25-09-2022.