Jusqu'à récemment, l'authenticité de Louise Labé ne faisait guère de doute. Elle était la fille d'un riche fabricant de cordes, et une écrivaine dont de qui les œuvres étaient publiées par un célèbre éditeur lyonnais, avait des amis qui écrivaient également et était admirée par plusieurs autres auteurs. En 2005 encore, Béatrice Alonso l'a confirmée comme auteur dans sa thèse et l'a même appelée le lien entre la Rhétorique et la Pléiade.(1) Moins d'un an plus tard, une bombe a explosé quand Mireille Huchon annonçait le résultat de ses recherches : Les œuvres de Louise Labé étaient en réalité écrites par des hommes et elle n'était qu'une simple courtisane ou prostituée, plutôt qu'un sujet à part entière capable d'être auteur.(2)
Le style de l'œuvre ressemblerait trop à celui d'autres écrivains de l'époque, qui sont plus connus.(3) Une période, d'ailleurs, dans laquelle la poésie, la littérature, étaient considérées comme une combinaison de talent et de travail dur. L'idée que l'écriture était un travail difficile est particulièrement exprimée dans l'utilisation du sonnet.
Avant qu'un texte puisse porter le nom « sonnet », un certain nombre de conditions doivent être remplies, comme le nombre de strophes : 2 quatrains et 2 tercets.
En outre, il doit contenir un certain nombre de syllabes dans les phrases et un certain schéma de rimes, il doit avoir une chute dans le dernier vers ou la dernière strophe et la rime elle-même doit également être de bonne qualité. Il s'agit plus de remplir un modèle que d'écrire du cœur, avec le risque de produire un résultat final un peu artificiel. Ou, en effet, ressemblant à d'autres textes écrits selon les mêmes règles.
Dans ce cas, est-il vraiment possible de juger le style d'un texte ou de conclure qu'il doit avoir été écrit par quelqu'un d'autre parce que les deux styles sont si semblables ? Le style ou un texte d'un autre auteur n'auraient-ils pas pu être utilisés comme simple inspiration ? Louise Labé utilisait, entre autres, le sonnet comme forme pour son œuvre(4), comme la plupart des auteurs de l'époque. Les similitudes ne signifient donc pas forcément quelque chose.
Le maître putatif de l'œuvre de Louise Labé est Maurice Scève, le chef de l'école lyonnaise (le pendant lyonnais de la Pléiade de Paris), qui est aussi « le génial « inventeur » du tombeau de Laure en Avignon (1533) et sans doute du sonnet de Pétrarque exhumé à cette occasion »(5) et de Délie en 1544. Donc il a déjà inventé des femmes. Mais en effet : inventé, avec des noms inventés. Alors pourquoi inventer quelqu'un avec un nom existant déjà ? Cela ne témoigne pas d'une grande créativité, bien que l'on puisse s'attendre à de la créativité quelque part.
Des textes qui pourraient avoir été écrits par quelqu'un d'autre que l'on croyait pendant des siècles. Est-ce vraiment un si grand scandale ? Et pour qui ?
Pour Louise ? Si Huchon a raison, il est également très probable que Louise ne savait pas que son nom était utilisé.
Pour les scientifiques qui, pendant des siècles, ont loué Louise comme une grande championne du féminisme ? Mais ce dernier cas concerne-t-il la personne de Louise ou les textes eux-mêmes et ce que l'on peut y lire ?
Ou est-ce secrètement pour Huchon elle-même, qui a apparemment fait connaître une thèse/hypothèse au monde entier, alors que la preuve n'était pas encore complète à l'époque, parce qu'elle y travaillait encore ?(6) En fin de compte, « l'interprétation est toujours chargée des souhaits de l'interprète, et le sens peut venir dominer là où il devrait ».(7)
Il reste également à voir si cette preuve réelle émergera un jour. Nous parlons d'ouvrages anciens, de sources anciennes, dont la fiabilité est pour le moins douteuse. Même si un document permettant de conclure que Huchon a raison devait émerger, il ne s'agirait que d'une preuve très mince. Pourquoi ne fait-elle surface que maintenant ? Qui l'a écrit ? A quel point est-il certain qu'il n'est pas question de licence poétique ? Quelle valeur peut-on réellement accorder à de telles sources (précédemment inconnues) cinq siècles plus tard ?
En Allemagne, Huchon ne semble pas avoir un grand soutien. Là-bas, l'opinion prévaut qu'il est difficile d'imaginer que l'œuvre de Louise Labé puisse avoir été écrite par plusieurs auteurs, précisément parce qu'elle est si complexe et intelligente. De plus, aucun des auteurs présumés a revendiqué la gloire de l'auteur d'un ou plusieurs textes. Il n'est donc pas nécessaire de dire adieu à Louise Labé en tant qu'auteur.(8)
Peut-être ne faut-il donc pas se concentrer sur l'auteur d'un texte ou sur la personne de l'auteur, mais sur le texte lui-même, son contenu. Après tout, il y a beaucoup d'auteurs connus qui envoient leurs nouveaux manuscrits à leurs éditeurs sous un autre nom, parce qu'ils veulent que la nouvelle œuvre soit jugée sur la qualité de cette dernière et non en tant que « la nouvelle œuvre de ». Ils craignent qu'un nouveau manuscrit ne soit pas jugé équitablement, parce qu'ils sont désormais des écrivains établis et que les critiques qualifient donc tout ce qu'ils écrivent de « fantastique ». Les évaluations par les pairs sont anonymes pour la même raison : c'est le travail qui doit être examiné, pas l'auteur. La question est de savoir si la qualité d'une œuvre change selon l'auteur. Un texte féministe est-il moins féministe s'il s'avère que c'est un homme qui l'a écrit ? En fin de compte, ce qui est écrit ne change pas.
Maintenant que les textes de Louise ont été repris par les partisans du féminisme plusieurs siècles seulement après leur apparition, il est évident qu'ils y ont vu quelque chose. Ces textes « en ont ému plus d'un par leurs notes passionnées de sincérité. Ils en ont ému et inspiré d'autres par leur appel aux femmes à être créatives et à jouer un rôle essentiel et intellectuel dans la société ».(9) N'est-ce pas beaucoup plus important que la question de savoir qui a réellement écrit ces textes ?
C'est, en conclusion, une déclaration intéressante de la part de Huchon, mais qui ne sera jamais concluante à 100%. Même si l'on sait peu de choses sur Louise Labé à cette époque, ses textes sont populaires. Pour les textes d'une période où peu de choses étaient documentées et où ce qui était documenté n'était pas nécessairement fiable, c'est de cela qu'il s'agit, du texte lui-même. Ce n'est peut-être pas Louise Labé qui est le plus grand canular de la France, mais l'hypothèse de Huchon.
Références
- ALONSO, Béatrice, « Louise Labé ou la lyre humaniste : « écriture féminine », écriture féministe », Réforme, Humanisme, Renaissance, numéro 62-1-3274, 2006, p. 161-167, p. 164.
- FRELICK, Nancy, « Gender, Transference, and the Reception of Early Modern Women: The Case of Louise Labé », L'Esprit Créateur, vol. 60, numéro 1, 2020, p. 9-22, p. 9.
- NOIROT, Corinne, « L’œuvre de Louise Labé est-elle devenue inauthentique ? Et alors ? », Noesis, vol. 22-23, 2014, p. 153-167, sous 3.
- ALONSO, Béatrice, « Louise Labé ou la lyre humaniste : « écriture féminine », écriture féministe », Réforme, Humanisme, Renaissance, numéro 62-1-3274, 2006, p. 161-167, p. 164.
- NOIROT, Corinne, « L’œuvre de Louise Labé est-elle devenue inauthentique ? Et alors ? », Noesis, vol. 22-23, 2014, p. 153-167, sous 21.
- NOIROT, Corinne, « L’œuvre de Louise Labé est-elle devenue inauthentique ? Et alors ? », Noesis, vol. 22-23, 2014, p. 153-167, sous 3.
- FRELICK, Nancy, « Gender, Transference, and the Reception of Early Modern Women:The Case of Louise Labé », L'Esprit Créateur, vol. 60, numéro 1, 2020, p. 9-22, p. 20.
- SCHULZE-WITZENRATH, Elisabeth, « Mireille Huchon, Louise Labé. Une créature de papier », Zeitschrift für romanische Philologie (ZrP), vol. 124, numéro 3, 2008, p. 571-576, p. 576.
- BOURBON, Annemarie, « Mireille Huchon. Louise Labé: Une créature de papier. », Renaissance Quarterly, vol. 59, numéro 4, 2006, p. 1230-1232, p. 1232.
Le mois dernier, j'ai commencé à étudier le français à l'université. C'est le premier texte que j'ai écrit pour ces études.
Well done